Biographie
Partage d'une passion
Biographie de Lilyane Coulombe
Article écrit et publié dans le Newsletter de Botanical Artists of Canada
Peindre les plantes est une vraie passion et une aventure en soi. Elles sont là devant moi, je m’émerveille, je contemple, j’admire, je m’enivre! C’est un peu comme si j’entrais en communion avec elles. Je me laisse séduire et peu à peu les variations de teintes de vert se révèlent à moi, les multiples nervures des feuilles apparaissent l’une après l’autre, la lumière joue avec la transparence des fruits, les pétales délicats dansent sous l’effet du vent. Tout est là, je suis propulsée hors du temps.
Fascinée par leur beauté, leur élégance, leurs différences, leurs particularités, j’observe longuement ces belles de chez nous. Émerveillée, je découvre les astuces qu’elles ont mises au point pour s’adapter, les stratégies qu’elles ont dû utiliser pour disséminer leurs graines favorisant ainsi une dispersion lointaine. Je pense aux aigrettes de pissenlit, aux ailes membraneuses des disamares des érables, aux crochets de la bardane qui s’accrochent aux animaux, à la capsule de l’impatiente du cap qui, lorsqu’elle éclate, propulse ses graines comme une catapulte.
Je constate la transformation que certaines plantes ont dû effectuer pour s’acclimater et survivre dans certains types de sols. Par exemple, la sarracénie pourpre (Sarracenia purpurea) est une plante carnivore dont les feuilles sont modifiées pour piéger les insectes. Incapable de ressortir, ses proies finissent par se noyer et être digérées par des enzymes; un destin bien tragique, mais une source bienvenue d’azote et de phosphore pour la plante. Cette stratégie un peu macabre a permis à la sarracénie de proliférer dans les sols pauvres et acides des tourbières.
Je réfléchis à certains mécanismes ingénieux qu’elles ont développés pour que leurs fleurs soient pollinisées. Je pense à certaines fleurs qui concoctent de puissants mélanges de composés chimiques pour attirer l’insecte qui transportera leur pollen. Comment rester indifférent face à l’odeur putride du chou puant (Symplocarpus foetidus) qui attire les mouches par leur parfum de moufette? Sans compter que la plante a trouvé une façon ingénieuse de répandre ce cocktail dans l’air glacial du printemps. Les fleurs du chou puant ont la capacité de réguler leur température en produisant de la chaleur. La température du spadice se stabilise à plus de 20 °C, et ce, même si la température extérieure descend bien au-dessous du point de congélation. Cette chaleur produite par une augmentation spectaculaire de la respiration cellulaire est suffisamment importante pour faire fondre la neige autour de la fleur. Les courants d’air résultant permettent à l’odeur nauséabonde de se répandre, au plus grand bonheur des mouches.
Toutes ces observations me font vibrer et m’invitent à fouiller les écrits botaniques pour mieux les comprendre. La connaissance de ces petits trésors est une véritable passion. Mais comment la transmettre? Comment représenter toute cette beauté? Comment puis-je y arriver en toute humilité? Et quelle technique me permettra d’immortaliser ces belles de chez nous?
J’avais expérimenté plusieurs techniques, mais peu d’entre elles me donnaient satisfaction pour les fondus de couleur. La technique à l’huile me plaisait parce que j’avais du temps devant moi pour raffiner mon coup de pinceau et mes couleurs, me donnant ainsi plus de précision. Par contre, le support commercial d’une toile grossière m’apportait des déceptions pour certains détails. La ligne fine d’un poil, par exemple, suivait la trame de la toile grossière et apportait une distorsion. Un jour, un ami m’a parlé de techniques anciennes fascinantes. Après avoir fait beaucoup de recherche, j’ai mis au point la technique que j’utilise maintenant. Elle m’apporte la finesse du support et me permet ainsi de peindre des détails fins : les aigrettes, les trichomes, les fines nervures, les étamines, les fleurs tubulées. Ce sont de petits détails si délicats à reproduire.
Il m’arrive parfois d’imaginer le travail des apprentis préparant les supports dans les ateliers des maîtres flamands. C’est excitant! Un changement s’opère, je voyage à une autre époque. Tout débute par une journée dans la cuisine.
Les granules de colle de peau de lapin que j’ai mis à tremper dans l’eau la veille ont maintenant l’aspect d’une gélatine. La colle est prête à être chauffée dans un bain-marie à la température requise. Je ne peux pas dire que son odeur est agréable, mais on s’habitue. Mon papier d’Arches 140 lb, fini satiné, est découpé et prêt à être marouflé (collé) sur mon panneau monté sur fauxcadre. C’est un peu comme si je posais de la tapisserie. J’applique de la colle sur le panneau et sous le papier que je colle ensuite. Avec mes mains, je lisse le papier pour éliminer les bulles d’air emprisonnées. J’applique une autre couche de colle sur le papier et j’attends au lendemain pour l’autre étape.
C’est une journée plus longue, cette deuxième journée. On pourrait croire que cette étape peut être éliminée et peindre directement sur le papier, mais non. L’huile attaque la cellulose (bois, papier, coton), il est donc nécessaire d’appliquer un enduit avant de peindre. Ce dernier est fait avec de la colle de peau de lapin et une charge de blanc. Après avoir fait tremper les granules de colle dans de l’eau toute la nuit, je chauffe au bain-marie et j’ajoute la charge, c’est-à-dire le carbonate de calcium (blanc de Meudon ou blanc d’Espagne) et le blanc de Lithopone (un pigment blanc qui rendra l’enduit plus blanc). Lorsque la température requise est atteinte, j’applique une première couche mince sur le papier marouflé sur panneau. Il y aura deux autres couches successives qui se superposeront à la première dans des sens opposés, avec des temps d’attente d’une heure entre chacune d’elle. Le lendemain, je fais un léger ponçage avec un papier sablé très fin pour rendre la surface lisse.
Il faudra attendre 10 jours avant de peindre sur ce support lisse et doux. L’enduit légèrement absorbant volera à la peinture une partie de son huile ce qui la fixera telles des racines. Cette absorption me procure également la possibilité de réaliser des détails.
Il est maintenant temps de faire du repérage à la recherche de spécimens qui me charmeront. De longs mois m’attendent pour réaliser une seule planche botanique. Une première couche sera faite alors que la plante est vivante où j’irai chercher toutes les informations, dont la couleur, la forme, les fleurs, les fruits et parfois les racines. Au fil des saisons, j’observerai sa croissance, sa transformation et l’arrivée des fruits. J’aime bien la représenter à sa grandeur réelle même si je dois utiliser une loupe et des pinceaux à quelques poils pour y arriver. Parfois, je peins au bas du tableau certains détails comme les fruits ou une coupe longitudinale de la fleur grossie ou autres détails intéressants. Une deuxième couche et des glacis se feront ultérieurement pour rendre la couleur plus riche. C’est donc après une année entière de passion, de travail et de patience que je termine une planche botanique.